Lecture en classe 3-6 maternelle

Stanislas Dehaene, Réflexions sur l’enseignement de la lecture : Quel programme pour le premier cycle ? (septembre 2014)

http://cache.media.education.gouv.fr/file/CSP/84/2/Dehaene_Stanislas_-_Professeur_-_CSP_Contribution_362842.pdf


Réflexions sur l’enseignement de la lecture : Quel programme pour le premier cycle ?

Stanislas Dehaene, Septembre 2014

Dans le cadre de la refondation de l’école, le Conseil supérieur des programmes de l’Education Nationale m’a récemment demandé une contribution écrite comprenant des recommandations relatives à l’enseignement de la lecture.

Chercheur en sciences cognitives, j’ai préféré mettre brièvement par écrit, de façon nécessairement simplifiée, ce qui me parait être le consensus international sur l’acquisition de la lecture et l’optimisation de son enseignement. Il s’agit ici d’une synthèse personnelle, mais fortement étayée par la littérature scientifique. Je crains, ce faisant, de ne faire que répéter ce que beaucoup d’enseignants savent déjà, et que l’Observatoire National de la Lecture a largement diffusé depuis quinze ans – mais peut-être est-il utile d’y revenir une fois encore.

Maternelle : La préparation à la lecture

La recherche montre que, dès la maternelle, trois variables prédisent la facilité avec laquelle l’enfant va apprendre à lire :

  • Les compétences phonologiques de l’enfant
  • Le vocabulaire oral de l’enfant
  • La présence des livres dans son environnement, et leur valorisation


L’école maternelle doit donc viser à enrichir l’enfant dans ces trois domaines. A ce stade, on ne saurait parler de « programme », mais seulement de jeux et d’activités choisis pour leur valeur pédagogique :

  • Phonologie : Jeux de mots, marquage du nombre de syllabes des mots avec un instrument de musique, jeux de rime, ressemblances phonologiques, approximations (« mots tordus ») et distinctions entre les mots, repérage du premier son, etc.
  • Vocabulaire : Imagiers, lectures orales, logiciels, puzzles et jeux exposant l’enfant à un vocabulaire enrichi et exigeant (rappelons qu’à cet âge, n’importe quel enfant apprend 10 à 20 mots par jour pourvu qu’il soit exposé à un langage oral riche et diversifié).
  • Présence des livres : lectures quotidiennes par les enseignants et, tous les soirs, par les parents. Présence, dans toutes les classes, d’une bibliothèque de livres illustrés où l’enfant prend l’habitude de puiser chaque fin de semaine. 

Au CP : L’acquisition du décodage et du vocabulaire écrit

La première année de la lecture doit se concentrer sur l’apprentissage du code alphabétique. Pour une langue semi-transparente telle que le français, il est réaliste (quoique exigeant) de viser qu’à la fin du CP, l’enfant sache (1) déchiffrer sans erreur pratiquement n’importe quel mot, connu ou inconnu, ainsi que n’importe quel pseudo-mot ; (2) comprendre le sens des mots connus qu’il déchiffre.

Objectif 1 : Un déchiffrage précis et sans erreur.

Pour y parvenir, l’enseignant doit expliciter chacun des aspects du code alphabétique :

-  Correspondance graphème-phonème : enseignement systématique de la manière dont chaque lettre transcrit un son ; dans un ordre rationnel, en commençant par les correspondances les plus simples et les plus fréquentes. i

-  Combinatoire des lettres : une étape essentielle et difficile pour l’enfant consiste à comprendre que les sonorités portées par chaque lettre se combinent pour former des syllabes. L’enseignement commence par les combinaisons les plus simples (CV = consonne voyelle, en commençant par les consonnes « continues » comme /f/, /ch/, /s/, /j/) et se poursuit par les combinaisons plus ardues : VC, CVC, CCV, CCCV, etc.

-  Correspondance entre l’espace et le temps : la position des lettres, de gauche à droite, dans le mot écrit correspond à la séquence des sons dans le mot prononcé.

Des progrès rapides sont obtenus lorsque ces éléments sont enseignés tous les jours. En effet, le sommeil consolide chaque nuit les apprentissages de la journée. De nombreux pays recommandent une séance quotidienne de lecture, d’au moins une demi-heure qui comprend successivement (1) l’introduction ou la révision d’une correspondance graphème- phonème spécifique (2) l’illustration de son rôle combinatoire dans des syllabes ou des mots courts (3) la lecture à haute voix et l’écriture de mots et pseudo-mots qui l’illustrent ; et ce tous les jours.


A ce rythme, les échéances suivantes sont exigeantes mais réalistes :

-  En fin de premier trimestre de CP: l’enfant connaît la prononciation dominante de toutes les voyelles et de la plupart des consonnes, et il sait donc lire à haute voix toutes les syllabes simples (CV et VC) qui font appel à des correspondances régulières

-  Au cours des deux trimestres suivants, l’enfant apprend à maîtriser toutes les correspondances moins fréquentes et toutes les structures syllabiques. 

Je vous laisse prendre connaissance du document intégral soumis au Conseil Supérieur des Programmes. Stanislas Dehaene y apporte un regard factuel sur les pratiques et engagements des enseignants de C1 et C2. Il apporte en conclusion, concernant la prise en charge des difficultés scolaires des élèves dans l'apprentissage de la lecture un éclairage qui pour nous est une évidence: le rythme de l'enfant respecté, les difficultés s'aplanissent. 

"Le programme doit donc rappeler que l’école et donc le maître ou la maîtresse sont les premiers responsables de la prise en charge des enfants en difficulté, bien avant d’autres intervenants comme le psychologue ou l’orthophoniste.

Trop d’enseignants se font à l’idée que, chaque année, deux ou trois enfants décrochent par classe. C’est cependant là un pourcentage élevé et inacceptable : 10 à 15% d’élèves déjà en difficulté! Trop d’enseignants considèrent également que, puisque le premier cycle comprend trois ans, si un enfant n’atteint pas les objectifs de fin de CP, il disposera encore du CE1 et du CE2 pour se rattraper. Dans l’état actuel des programmes, cela me parait une fuite en avant dangereuse, car l’enseignant des classes suivantes « suit le programme » sans nécessairement adapter son enseignement au niveau réel de chaque élève. Le rattrapage n’est possible que dans une classe à pédagogie flexible (par exemple de type « Montessori », où l’enfant choisit ses exercices). Il serait souhaitable que l’Education Nationale adopte ces pratiques souvent efficaces et adaptées au rythme et à la curiosité de chaque enfant."

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Commentaires: 2
  • #1

    Marie Constans (mardi, 28 avril 2015 17:18)

    Ok, très bien....J'ai l'impression que dans une classe Montessori, l'objectif de fin de CP est atteint en GS...

  • #2

    FannyL (mardi, 28 avril 2015 19:09)

    En tout état de cause Marie, il est évident que dans une classe Montessori ceux qui manifestent suffisamment de maturité pour accéder à la lecture sont en mesure de trouver des réponses à leurs attentes, tout comme ceux qui ont besoin de temps peuvent approfondir librement ce qui les intéresse sans être jetés en avant pour suivre le groupe. On touche là à la vraie différenciation, à l'individualisation des parcours. Une véritable continuité, une vraie dynamique de cycle, et même au-delà! Effectivement (et tu es bien placée pour le savoir...) je crois que pour beaucoup d'enfants les acquisitions en langage et mathématiques sont devancées.